0. Introduction
Le projet vise scientifiquement à une reformulation de la continuité entre savoirs ordinaires, pratiques, et savoirs scientifiques, épistémologiques, disciplinaires. Il vise à clarifier le rapport entre les savoirs théoriques (scientifiques) et leurs formes « pratiques », « d’expérience », et d’envisager, à l’inverse, le fondement de la connaissance dans les savoirs ordinaires ou les pratiques, sur divers terrains de l’apprentissage (y compris adulte). Il devrait permettre de repenser la place de l’expérience dans la mise en œuvre du savoir, au plan épistémologique comme au plan pratique. L’expérience n’est plus considérée comme un pur donné empirique, mais liée à un savoir-faire dont la relation à un savoir préexistant reste à déterminer…
Le projet, par la collaboration inédite entre les équipes COSTECH (GSP) et le CURAPP (« Savoirs, langage, normativités »), travaille sur une articulation de la cognition et de la pratique à travers l’élaboration de la notion de sens commun. La « Common Knowledge » du cognitivisme classique affrontait le problème de l’emboîtement des représentations. On tentera de dépasser cette difficulté par une perspective externaliste de type cognition située, et une approche pragmatique au sens large du langage et de la connaissance. Notre approche théorique se situera au point d’articulation entre cognition située et phénoménologie linguistique et l’examen sur le terrain des activités pratiques liées à l’apprentissage, comme la mobilisation du dispositif expérimental de suppléance sensorielle, fera mesurer combien « cognition située » signifie tout à la fois cognition technique, corporelle, spatiale et sociale, toutes dimensions qu’on retrouvera dans la définition du sens commun, et d’une nouvelle conception du savoir.
La question du savoir est trop souvent tenue pour évidente : soit comme contenu disciplinaire scientifique ou scolaire, soit comme cognition (du sujet individuel, et isolé du social, dans une conception psychologique du savoir). Pourtant, la notion commune de savoir demeure indispensable : notamment dès lors qu’on réfléchit à la question de l’apprentissage en général et de l’éducation en particulier, mais aussi à nos pratiques ordinaires : on revendique constamment un (des) savoir(s), et des compétences (sous la forme du savoir propositionnel, savoir que, ou du savoir faire (technique ou pratique en général, savoir comment)
La science semble proposer un modèle obvie du savoir : le savoir, c’est la science (l’ensemble des connaissances acceptées dans le paradigme actuel). Du coup, le lieu privilégié de l’étude du savoir semblera être l’épistémologie. L’épistémologie est désormais naturalisée : on n’étudie plus la connaissance en tant que telle dans son rapport au monde, mais la façon dont l’homme arrive à la connaissance du monde. Cette étude se fait (circulairement) à l’aide de la science. Savoir n’est pas seulement un contenu ou un ensemble de propositions (la science) à accepter, mais un état, ou une capacité. Quel est le rapport entre cette capacité et les contenus disciplinaires et scientifiques ? De plus, le savoir semble, dans sa définition même, objectif et autonome par rapport au fait du savoir individuel : on peut renvoyer ici à la grammaire ordinaire du terme. Dire « je sais que p » paraît équivalent à dire « p », et n’est vrai que si p est vrai. Pourtant, « je sais… » demeure une affirmation subjective. Reste alors à concevoir le rapport d’un sujet à son savoir.
Telle est la visée scientifique du projet : concevoir le rapport du sujet à son savoir, l’appropriation du savoir, sa dimension pratique, sans perdre cette objectivité du savoir. Au modèle dominant de l’épistémologie naturalisée, on voudrait proposer quelques alternatives en associant dans une réflexion interdisciplinaire d’un nouveau genre des épistémologues, des théoriciens des sciences sociales et de l’éducation, des psychologues, pour réélaborer le concept même de savoir pratique.
Nous allons confronter une approche théorique de la définition du savoir – en termes épistémologiques, historiques et linguistiques – et une approche de terrain spécifique dans plusieurs domaines : mise en œuvre du savoir ordinaire et pratique, de l’apprentissage comme appropriation (domaine de l’apprentissage scolaire de l’histoire, de la réception des savoirs universitaires en SHS), rapport savoir scientifique/savoir ordinaire, élaboration des savoirs-faire pratiques (théories de l’erreur). Le but de ces explorations est aussi de définir le savoir ordinaire, et d’opérer une classification plus fine dans ce champ (différences sens commun/ connaissance commune/représentations sociales/savoir profane/folk science, etc.).
Notre pari est que seule une confrontation de différents terrains peut nous permettre de définir le savoir et de le reconnaître dans ses formes dites profanes, ou pratiques. On parle par exemple aujourd’hui de savoirs pratiques, ou d’expérience, de compétences, sans pour autant définir en quoi ils consistent. Le seul moyen est d’examiner concrètement ce qu’on entend par là, afin d’articuler le rapport entre les savoirs et leur mise en œuvre pratique. La capacité à saisir des expressions ou émotions, de percevoir des action ou la signification de gestes, peut être conçue comme un savoir pratique au sens où il s’agit plus d’une disposition ou capacité que de prise de connaissance de contenus déterminés.
Il est indispensable, pour de telles questions, de confronter approches théoriques et avancées des enquêtes et explorations de terrain.
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