Colloque – « Langage et politique » (Linguistique-Sociologie-Epistémologie)

Programme coordonné par B. Geay & B. Ambroise
Les 26, 27 et 28 mars 2008.
Dans le cadre du Programme ASC financé par la Région Picardie & l’Union Européenne

En quoi les conditions socio-politiques sont-elles indispensables pour comprendre l’efficacité des actes de langage ? En quelles occasions l’étude des phénomènes politiques requiert-elle tout spécialement une théorie du langage qui puisse rendre compte de la contribution que le langage y apporte ? En quelle mesure prendre en compte la diversité des contextes et des formes au travers desquels le langage devient politique peut-il contribuer à une telle théorie ? Telles sont les principales questions qui seront débattues au cours de ces journées qui entreprennent de croiser langage et politique, philosophie, linguistique et sciences sociales. En raison de la puissance théorique de la logique moderne et de ses nombreux résultats, la philosophie du langage et la linguistique sont désormais strictement arrimées à l’analyse logique, opérant une réduction sémantique et logiciste qui s’est indiscutablement avérée féconde dans les champs de la logique, de la pragmatique et de la sémantique formelles. Mais ces avancées ont conduit à soutenir l’idée, prédominante dans la philosophie analytique et la linguistique influencée par elle, d’une autonomie complète de la sphère du langage, lui-même réduit à être le véhicule d’un contenu informatif pouvant être formalisé. Dans cette perspective, on essaie même de formaliser l’étude des aspects actifs du langage relevés par Austin, en oubliant que la définition inaugurale des « actes de langage » en faisait avant tout des actes de nature intrinsèquement sociale. On refoule ainsi leurs aspects sociaux, en considérant qu’ils ne sont pas essentiels à leur réalisation. Or la sociolinguistique et les développements des sciences sociales devraient interdire une telle clôture de l’analyse du langage, notamment lorsque ce dernier contribue de manière décisive à des phénomènes spécifiquement sociaux et politiques, comme l’a par exemple soutenu Searle. Il nous semble par conséquent important de remettre en cause cette « illusion scolastique », déjà dénoncée par Austin puis par Bourdieu, qui consiste à oublier la dimension socio-politique du langage pour ne plus en faire qu’une sorte d’objet pur, seulement relatif à des structures et contraintes logiques. Car en reniant la dimension intrinsèquement culturelle et sociale du langage, cette illusion conduit finalement à en perdre la spécificité. En revenant ainsi sur la théorie des actes de langage et sur la question des performatifs, et en étudiant tout ce qu’elle peut apporter à une analyse des phénomènes politiques, nous voudrions montrer toute l’actualité de la mise en garde de Bourdieu, soulignant que le langage ne pouvait agir seul et que lorsqu’il avait l’autorité de faire des choses, notamment dans le domaine de la politique, il ne gagnait cette autorité que de manière déléguée – c’est-à-dire en étant inscrit dans des relations sociales permettant au locuteur d’avoir, par sa parole, un certain pouvoir sur les interlocuteurs. Tel est éminemment le cas de l’ordre, mais aussi du discours savant, du discours à dimension politique – du discours autorisé en général, qui ne peut pas se faire valoir comme tel, autrement que par une construction, socialement déterminée, du contexte social de réception et d’interprétation. Se donner pour projet d’analyser la performativité politique du langage exigera bien plutôt que l’on s’intéresse, grâce aux ressources des sciences sociales et d’autres disciplines, tout autant aux conditions de production des actes langagiers qu’aux procédures, aux processus ou aux configurations particulières qui en assurent l’efficacité. Un tel projet conduit ainsi à rechercher de quelle façon des aspects non langagiers se nouent étroitement à la production du sens de l’action, qu’il s’agisse des hexis corporelles, des cadres matériels ou des contextes émotionnels des interactions. Nous voudrions ainsi : 1/ Montrer d’un point de vue épistémologique et philosophique que le langage n’a d’efficacité qu’à être intrinsèquement marqué par les rapports sociaux dans lesquels il s’inscrit (en rappelant notamment que l’acte de langage a comme condition de félicité insigne la reconnaissance par l’interlocuteur de l’autorité du locuteur) et nous voudrions critiquer toutes les recherches qui tendent à chercher des conditions pures d’usage du langage (qu’il s’agisse d’une pure pragmatique formelle ou des approches conversationnelles à la Habermas). Il faudra bien plutôt comprendre que ce qu’on appelle « acte de langage » n’est précisément un acte qu’à être soumis à des conditions sociales par principe et qu’il ne réussit donc qu’à être socialement sanctionné. Cela implique naturellement de comprendre que la situation de chaque locuteur dans la structure sociale, non seulement affecte sa capacité à faire telle ou telle chose par sa parole, mais bien encore conditionne la possibilité qu’il puisse utiliser sa parole pour faire (ou dire) telle ou telle chose. Pour le rappeler brièvement, tout le monde n’a pas l’autorité pour donner un ordre en n’importe quelle circonstance et il conviendra de montrer qu’il en va souvent de même pour tous les énoncés à prétentions descriptives : dire le vrai n’est pas non plus donné à tous les locuteurs, mais seulement à ceux qui sont susceptibles (i.e. qui ont le pouvoir) de se faire entendre et reconnaître comme légitimés à faire tel ou tel acte de langage. Il en est naturellement de même pour tous les discours possédant une dimension politique (revendication, critique, intervention législative, etc.). 2/ Par ailleurs, nous voudrions montrer comment, d’un point de vue linguistique , le contexte socio-politique affecte les échanges discursifs et que leur construction même doit intégrer ces rapports, de telle sorte que « l’idéologie » (relative au contexte propre d’énonciation) est toujours susceptible d’affecter les discours de chacun, chacun ayant les propres présupposés de son discours, qu’il convient en quelque sorte de partager (ou de dénoncer) pour comprendre ce dont il parle. Il conviendra également de montrer à quelles conditions le langage lui-même peut être le vecteur d’une idéologie, comment il peut construire un certain nombre de représentations idéologiques qui s’imposent à une communauté linguistique comme étant la vérité sur certaines choses (construction des genres sexuels, discours colonialistes, moralisateurs) : il s’agit de voir comment ce type de discours peut créer de manière performative la définition de ce dont il parle – et comment il peut parfois réussir à l’imposer dans la réalité (construction de normes de perception). 3/ D’un point de vue sociologique , nous voudrions montrer l’intérêt heuristique qu’il y a à se saisir de la diversité des formes et des contextes qu’empruntent les relations entre actes de langage et phénomènes politiques, et par là, à rapprocher sans les confondre, tout un ensemble de travaux ordinairement séparés par la division académique du travail scientifique. Pour préciser les choses, du côté de la sociologie des mouvements sociaux, on peut notamment s’intéresser aux actes constitutifs des groupes mobilisés et aux configurations sociales où ils se réalisent. L’étude des grèves et des mobilisations sociales les plus intenses représentent un terrain privilégié de l’étude des actes performatifs, dans cette forme particulière de corps-à-corps où se jouent le charisme des porte-parole, la dimension plus ou moins subversive des modes d’action en même temps que la définition de soi et de l’enjeu de la lutte. On gagne à rapprocher ces travaux de ceux conduits par les historiens des périodes révolutionnaires, spécialement lorsqu’ils soulignent l’importance des inventions en contexte, quand on ne peut comprendre ce qui se dit et se fait dans le quotidien de ces périodes critiques, sans recourir tout à la fois à l’analyse des structures sociales et à celle de la parole politique en situation. Hors de ces moments d’effervescence collective, l’analyse peut être prolongée par l’étude à caractère anthropologique des rituels politiques, qu’ils soient officiels ou de type protestataire. Ces actes d’institution, qui peuvent être appréhendés comme expression d’une structuration sociale ou comme formes routinisées des actes politiques fondateurs d’un régime ou d’un groupe spécifique, ont en effet ceci de particulier qu’ils opèrent une sorte de magie sociale à répétition, sous réserve que des conditions minimales soient réunies pour l’administration de leur liturgie. En une direction bien différente, les pratiques oratoires qui se développent au sein des groupes déviants peuvent là encore être saisis sous l’angle de la production de l’identité collective, même si l’analyse doit ici faire place aux processus de gestion et de retournement du stigmate, et à une tout autre forme de décorum. A une échelle temporelle plus longue, on peut chercher du côté de la sociologie des groupes militants, qu’ils soient associatifs, syndicaux, politiques ou religieux, toute une série d’apports relatifs à la production et à la transmission de principes de vision et de division du monde social. Les mots se font ici principes de ralliement et d’opposition, légitimés par des théories savantes ou quasi-savantes, progressivement transmués en institutions, devenant vocabulaire commun, du fait même de cette naturalisation sociale. Et c’est en définitive à l’action exercée par l’Etat et par le droit qu’il convient de faire référence. La sociologie des politiques publiques, de leur production à leur diffusion, peut en effet se présenter comme une analyse de la mise en mots officiels, en catégories légitimes déployées et imposées par l’action de la loi et de l’administration. Celle de l’institution judiciaire peut ouvrir sur une étude des façons de dire l’ordre social et de le légitimer. Il s’agira donc dans ce colloque à vocation résolument interdisciplinaire de confronter les différents points de vue que peuvent offrir différentes disciplines sur un même objet – le langage en contexte politique – afin de rétablir une vérité commune qu’il est de bon ton d’effacer aujourd’hui : à savoir que le langage est intrinsèquement politique dans ses déterminations, ses usages et ses effets.

Mercredi 26 mars (Salle E110, Campus, chemin du Thil)

Matin (9H45 – 12H45 ) : Présidente et discutante : F. Dufour (PraxiLing) Session : L’EFFICACITE DU LANGAGE A L’OEUVRE : IDEOLOGIES ET CATEGORISATIONS.
P. Siblot (U. Montpellier – PraxiLing) : Un acte de langage très politique : la nomination.
C. Detrez (ENS-LSH – GRS) : La science et la construction du genre : jeux et enjeux de langage.

(Pause)
F. Dufour (PraxiLing) : « Immigration et identité nationale»  : les ressorts idéologiques d’un acte de nomination.

Présidence : Pascale Laborier

Repas buffet

Après-midi (14H00 – 18H30) : Président et discutant : P. Lehingue (UPJV- CURAPP) - Session : LA PRODUCTION DE L’IDEOLOGIE
F. Lebaron (U. Picardie – CURAPP) : Le discours économique comme idéologie. T. Guilbert (U. Picardie – CURAPP) : La performativité de l’évidence : analyse du discours néolibéral.
R . Lenoir (Université Paris 1 – CSE) : L’idéologie de la famille.
(Pause)
Session : LE LANGAGE EN POLITIQUE
J. Fretel (U. Picardie – CRPS/U. Paris 1/CNRS) : Bayrou : une prophétie autoréalisatrice non-réalisée.
N. Ethuin (U. Lille 2 – CERAPS) : Désalignement discursif, éclatement sémantique et crise de l’autorité au sein du PCF.
J. Lefèvre (CNRS – CURAPP) : Le vocabulaire de l’action syndicale.

Diner 20h


Jeudi 27 mars
(Amphi Carré de Malberg – Pôle Cathédrale – Placette Lafleur)

Matin (9H30 – 12H30)
Présidente et discutante : S. Rozier (UPJV- CURAPP)
Session : L’EFFICACITE DU LANGAGE A L’OEUVRE: LA PRODUCTION DES QUESTIONS POLITIQUES
L. Balland (IEP Toulouse – LaSSP) : La production de la parole télévisuelle sur la crise de l’école.
P. Champagne (INRA – CSE) : La fabrication de l’opinion.
- Session : POLITIQUES DE LA LANGUE
S. Auroux (CNRS – HTL) : Les politiques linguistiques de la monarchie française et leurs modèles théoriques.
J.M. Eloy (U. Picardie – LESCLaP) : Une condition trop évidente : quels actes en quelle(s) langue(s) ?
12H45 : Déjeuner
Après-midi (14H15 – 18H00):
Présidente et discutante : S. Laugier (UPJV- CURAPP)
Session : LANGAGE, POUVOIR ET DROIT
L. Willemez (U. Poitiers – Gresco) : Le jugement prudhommal.
R. Charnock (U. Paris-Dauphine) : Fonction et efficacité d’un acte langagier dans le contexte institutionnel juridique.
(Pause)
- Session : MODELES ET CONDITIONS D’EFFICACITE DE LA PAROLE
B. Ambroise (U. Picardie – CURAPP) : La détermination sociale de l’efficacité performative et sa dénégation, d’Austin à Habermas.
S. Richardot (U. Picardie – CURAPP) : Comment faire faire sans le dire? Ordres flous, adhésion et engagement dans des pratiques meurtrières.
B. Masquelier (U. Picardie – LACITO) : Jeux de langage carnavalesques, interlocution, et le champ du politique : réflexions à partir d’une enquête sur le calypso politique à Trinidad (Caraïbes)
- Discussion animée par S. Laugier.
20H30 : Dîner


Vendredi 28 mars
(Amphi Carré de Malberg – Pôle Cathédrale – Placette Lafleur))

Matin (9H30 -12H15) :
Président et discutant : B. Ambroise (UPJV – CURAPP)
Session : LA PAROLE EFFICACE ENTRE CONFLIT ET CONSENSUS
D. Vernant (U. Grenoble 2 – PLC) : Dialogue et praxis. Le cas Habermas : l’usage idéologique de l’autonomie.
B. Geay (U. Picardie – CURAPP) : Parole, corps et action collective : une sociologie de la pratique protestataire.
C. Gautier (U. Montpellier 3 – CURAPP) : Représentation et performativité chez P. Bourdieu.
12H30 : Déjeuner
Après-midi (14H00-16H30) :
Présidente et discutante : G. Radica (UPJV – CURAPP)
Session : PAROLE ET REVENDICATION (COLLECTIVE ET/OU INDIVIDUELLE)
L. Baugnet (U. Picardie – CURAPP) : Les Manifestes : Conditions d’efficacité politique du discours de signataires.
S. Chavel (U. Picardie – CURAPP) : Vertus du désaccord : langage, liberté, et politique. À propos de C. Sunstein.
P. Humeau (U. Poitiers – Gresco) : La parole Punk.
Discussion générale.

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