Séminaire – Observer et décrire le réel : pratiques et catégorisations

Séminaire animé par Barbara Olszewska et Maÿlis Dupont
(UTC – Costech).

Un mercredi par mois de 15h00 à 17h00
Lieu : Université de Technologie de Compiègne, centre Pierre Guillaumat, salle K 230
ou Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, salle 816.

Argument général :

Quel est le rapport entre la description, sa forme, ses dispositifs (sémiotiques, techniques) et le réel dont elle cherche à rendre compte ? La recherche d’adéquation entre l’espace discursif, argumentatif de re-présentation des faits et le statut du réel auquel ces descriptions cherchent à se référer est au coeur des pratiques des sciences humaines et sociales. Les méthodes de présentation et de validation des faits impliquent l’usage de différents modes descriptifs : la quantification (l’usage de la mesure, un appui sur les statistiques), le recours à des éléments discursifs (textes, entretiens), la sémiotisation et l’abstraction graphique (traces, schémas, listes, tableaux) ou cinématographiques (photos, vidéos). Au-delà d’un partage disciplinaire, c’est autour de ce ré-arrangement spécifique des faits que se creusent les distinctions (d’objets de référence, de procédures de visibilité). A l’arrière-plan de ces différentes pratiques de sémiotisation transparaissent des enjeux épistémologiques souvent peu explicités. D’une part, le formalisme est censé rendre compte de régularités spécifiques, voire même contribuer à découvrir et à formuler des lois. D’autre part, la photographie ou la vidéo capture aussi ce qui échappe apparemment à une description formelle « pure » : les qualités sensibles, les méandres de l’expérience « ordinaire », non réductible à un seul principe directeur. Mais la raison de ce partage est-elle forcément d’ordre épistémologique ? Comment la science et la philosophie du langage argumentent-elles et exemplifient-elles leurs positions ? Pourquoi ne pas évoquer également des raisons liées à certaines transformations sociétales, ainsi qu’aux innovations techniques et technologiques ?Quels sont les enjeux liés aux différents modes de re-présentation des faits, voire de leur constitution ? Comment s’entrecroisent-ils ? Finalement : qu’est-ce donc que ce réel auquel nous tenons tant ? Le séminaire invite à une réflexion commune entre épistémologues, philosophes du langage et chercheurs en SHS pour aborder ces questions.

Programme du second semestre :

On interrogera l’apport du film à l’analyse des pratiques et interactions sociales. Le matériel mobilisé (scène artistique, manifestation politique, séquence de jeu en ligne, etc.) permettra d’interroger différentes formes de l’action sociale, particulièrement les liens entre institutions et interactions quotidiennes, pratiques discursives, qualification et représentation de faits.On réfléchira notamment :
1) aux formes de visibilité des institutions en situation : comment sont-elles rendues visibles (au travers de quels codes, de quelles catégories ? quelles normes transparaissent dans l’action ? comment les participants manifestent-ils que tel ou tel cadre est pertinent pour organiser l’action ? de quelle manière les événements problématiques renseignent-ils sur l’ancrage institutionnel de l’action (erreur, défaut, vulnérabilité de cadre) ?
2) aux liens que le film entretient avec le cadre institutionnel (politique, artistique, médical), soit à la façon dont ces cadres orientent la saisie de la situation, influent sur la sélection de traits pertinents, rendent visibles des séquences d’actions, exhibent le type d’engagement dans la situation, le type de coordination, la catégorisation, etc.).
3) aux formes d’interaction que les différents cadres font apparaître (engagement corporel, médiation technique, interaction de face à face, …).

Planning des séances :

Mercredi 14 mars (UTC) : Introduction sur l’apport du cinéma (fiction, film documentaire, film de recherche) à l’analyse des pratiques et des interactions sociales. Extraits des films de Frederick Wiseman (Welfare, Titicut Follies), Joan Colom (Les Gens du Raval), George Cukor (The women) et films de recherche (danse, hotline, handicap).

Mercredi 4 avril (UTC) : Coordination et objectivation de l’action : le cas d’un spectacle de danse « augmentée ». Extraits des films de recherche de Barbara Olszewska et Maÿlis Dupont (UTC – Costech). (cliquer ici pour obtenir les détails)

On abordera les problématiques du film de recherche à partir du matériau collecté par Barbara Olszewska et Maÿlis Dupont, dans le cadre d’une enquête sur la danse et l’apprentissage d’un système de notation chorégraphique (enquête filmée sur Contraindre, spectacle de danse augmentée de Myriam Gourfink, février-mars 2007). On peut, dans ce premier cas, parler de « cadre artistique»  : on cherchera à décrire de quelle façon les membres se coordonnent entre eux dans un tel cadre. Le film d’activité rend visible différents types d’ajustements des danseuses entre elles et avec la technique. L’ajustement peut se faire par l’échange de regards visant à la coordination des gestes, par la communication verbale de consignes, ou encore être médié par un système de signes, ceux de la partition chorégraphique lue et interprétée par chacune des danseuses. Les signes, issus de la notation Laban, sont réappropriés et transformés à des fins créatives : ils sont utilisés moins pour transcrire les mouvements que pour les créer. Il s’en suit un véritable langage de nouveaux signes. Dans tous les cas, les traces d’un « cadre»  (Goffman) modelant la pratique devront être repérées dans le cours de l’action : geste de clôture propre à un enchaînement, principe de reprise symétrique, déroulement temporel autonome, etc. On cherchera également, dans le format ou dans les choix de cadrage cinématographique, de zoom, de ralenti, etc., les marques de ce cadre. Ces choix manifestent une compréhension de la situation qu’on doit rendre explicite, compréhension des règles, normes, catégories, etc., qui l’ont modelée et rendue intelligible pour les différents membres (danseuses, musiciens, public et chercheurs).Pour asseoir la réflexion, on propose la lecture d’extraits de textes de Dewey et de Goffman, sur les notions de situation, de cadre et d’oeuvre d’art.
Bibliographie indicative :DEWEY John, 2006, Logique. La théorie de l’enquête, trad. fr., Paris, PUF. Chapitre 4 : « L’enquête du sens commun et l’enquête scientifique ». DEWEY John, 2005, L’Art comme expérience, trad. fr., Pau, Farrago. Chapitre 9 : « La substance commune des arts ».GOFFMAN Erving, 1991, Les Cadres de l’expérience, trad. fr., Paris, Ed. de Minuit. Chapitre 3 : « modes et modalisations » (texte original conseillé).GOFFMAN Erving, 1972, « The Neglected Situation », in Language and social context, Ed. P. Giglioli, pp. 61-66.

Mercredi 16 mai (EHESS Paris) : Cinéma et ordinaire selon Stanley Cavell, par Sandra Laugier (UPJV – CURAPP). (cliquer ici pour obtenir les détails)

« Il n’est pas exagéré de dire que Stanley Cavell a révolutionné notre approche philosophique du cinéma.»  Sandra Laugier souligne trois points de la pensée de Cavell : « 1) l’importance du cinéma est dans notre expérience du cinéma ; 2) le réalisme du cinéma n’est pas dans sa représentation d’une réalité, mais dans son caractère démocratique, dans le fait qu’il fait partie de nos vies ordinaires ; 3) le réalisme du cinéma est dans l’éducation morale qu’il nous donne – en un sens spécifique, celui de perfectionnisme.»  « Ce qui intéresse Cavell, c’est le cinéma comme description de l’ordinaire : des moments de la vie quotidienne. Cela rejoint le mot d’ordre de Wittgenstein : ramener les mots de leur usage métaphysique à leur usage ordinaire. L’idée première de Cavell est que le propre de la pensée américaine se trouve dans son invention de l’ordinaire. Sa seconde idée est que cette invention, commencée avec Emerson et Thoreau, s’accomplit dans le cinéma américain.» 
S. Laugier « Qu’est-ce que le réalisme ? Cavell, la philosophie, le cinéma» , Critique, n°692-693, 2005.

Mercredi 6 juin (EHESS Paris) : Attention, cette séance durera trois heures : de 15h00 à 18h00.
Quels outils théoriques et techniques pour l’enquête sur l’activité musicale ? La composition, l’interprétation et l’écoute : des cours d’action à observer et décrire. Par Nicolas Donin et Jacques Thereau (équipe Analyse des pratiques musicales, Ircam / CNRS) et Anthony Pecqueux (SENSE, France Télécom R&D). (cliquer ici pour obtenir les détails)

Quels dispositifs pour comprendre les activités musicales savantes contemporaines ?

Nicolas Donin et Jacques Theureau, Equipe Analyse des pratiques musicales, Ircam-CNRS, http://www.ircam.fr/apm.html

Dans plusieurs études récentes de pratiques et situations musicales savantes contemporaines, nous avons recueilli des données d’enregistrement vidéo et de verbalisation des acteurs concernés (compositeurs, interprètes, réalisateurs en informatique musicale), selon différentes modalités (durée et rythme de l’étude, centration sur un ou plusieurs acteurs, degré d’intrusion dans l’activité considérée) et dans le cadre de projets scientifiques et techniques variés.

Quelle sorte d’interaction, quelles caractéristiques de cette interaction l’analyse de ces données permet-elle de découvrir ? Dans quelles perspectives théoriques et méthodologiques s’inscrivent ces différentes études ?

Nous nous appuierons sur deux études, l’une passée sur l’activité de direction d’orchestre, l’autre en cours sur l’élaboration collective d’une oeuvre pour « quatuor augmenté»  (c’est-à-dire un quatuor à cordes où chaque instrument est augmenté d’un dispositif de captation du geste et de traitement du son).

Article disponible sur le travail de direction d’orchestre : http://www.musimediane.com/numero2/Donin/introduction.html

L’écoute-en-action : l’écoute de la chanson comme activité sociale. Le cas d’une chanson de rap évaluée antisémite

Anthony Pecqueux, SENSE (France Télécom R&D) / SHADYC (EHESS – CNRS)

Cette intervention propose une forme de défi méthodologique : suivre l’écoute d’une chanson en tant qu’activité sociale dont on peut retracer le déploiement à partir de l’objet écouté, la chanson. Se trouve introduit à cette fin un ouil d’inspiration ethnométhodologique, l’écoute-en-action, qui rende compte de l’écoute comme activité dans la situation discographique. Cet outil est mis à l’épruve d’une situation problématique, une chanson de rap (» Jeteur de pierres» , Sniper) jugée antisémite par un certain nombre d’agents sociaux, dont un Ministre d’Etat. Conclure, de l’écoute de cette chanson, qu’elle n’est pas antisémite ne revient pas à disqualifier ces jugements. C’est au contraire parce qu’on les prend au sérieux comme usages sociaux de la chanson qu’on peut pointer la source de ces incompréhensions : les rappeurs n’ont pas offert à ces auditeurs, au sein de leur chanson, les ressources suffisantes pour qu’ils puissent accéder au statut de membres d’une chanson de rap. C’est alors la double question des catégorisations opérées dans la chanson et des ressources pour les saisir (compter pour membre) qui est abordée.

Mercredi 4 juillet (EHESS Paris) : Filmer le « mode mineur»  de la situation. Essai à partir d’un rituel protestant, par Catherine Rémy (ENSMP – CSI). (cliquer ici pour obtenir les détails)

Dans cette séance, je présenterai les résultats d’une recherche menée il y a quelque temps à partir de l’enregistrement vidéo de la célébration d’un culte protestant luthérien. Le but de cette recherche était de tester la pertinence et l’intérêt du concept de « mode mineur de la réalité » proposé par Albert Piette (1992; 1996) pour décrire l’engagement des acteurs dans des situations sociales filmées (« L’implication paradoxale (…) est en quelque sorte l’expression dominante du mode mineur de la réalité : en être et ne pas en être, en prendre et en laisser dans toute situation », 1992 : 87). Le rituel était donc pour moi un « prétexte », mais un prétexte justifié : la forte structuration de ce type d’activité rendait le repérage de la marge de manœuvre des individus plus aisé. Après avoir présenté la méthode que j’ai suivie pour filmer puis analyser ces séquences vidéo, je tenterai de montrer la force descriptive du concept de « mode mineur », le type de regard qu’il permet de poser sur l’engagement des acteurs, mais aussi ses limites.
Catherine Rémy.

Lien vers un article en ligne : http://www.ethnographiques.org/2003/Remy.html

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